[...] Le lendemain, lorsque les canards sauvages se levèrent, ils aperçurent leur nouveau camarade.
« Qu’est-ce que c’est que cela ? » dirent-ils : le canet se tourna de tous côtés et salua avec toute la grâce possible.
«Tu peux te flatter d’être énormément laid dirent les canards sauvages ; mais cela nous est égal, pourvu que tu n’épouses personne de notre famille. »
Le malheureux ! est-ce qu’il pensait à se marier, lui qui ne demandait que la permission de coucher dans les roseaux et de boire de l’eau du marécage ?
Il passa ainsi deux journées. Alors arrivèrent dans cet endroit deux jars sauvages. Ils n’avaient pas encore beaucoup vécu ; aussi étaient-ils très-insolents.
« Écoute, camarade, dirent ces nouveaux venus ; tu es si vilain que nous serions contents de t’avoir avec nous. Veux-tu nous accompagner et devenir un oiseau de passage ? Ici tout près, dans l’autre marécage, il y a des oies sauvages charmantes, presque toutes demoiselles, et qui savent bien chanter. Qui sait si tu n’y trouverais pas le bonheur, malgré ta laideur affreuse ! »
Tout à coup on entendit « pif, paf ! » et les deux jars sauvages tombèrent morts dans les roseaux, et l’eau devint rouge comme du sang.
« Pif, paf ! » et des troupes d’oies sauvages s’envolèrent des roseaux. Et on entendit encore des coups de fusil. C’était une grande chasse ; les chasseurs s’étaient couchés tout autour du marais ; quelques-uns s’étaient même postés sur des branches d’arbres qui s’avançaient au-dessus des joncs. Une vapeur bleue semblable à de petits nuages sortait des arbres sombres et s'étendait sur l’eau ; puis les chiens arrivèrent au marécage : « platsh, platsh ; » et les joncs et les roseaux se courbaient de tous côtés. Quelle épouvante pour le pauvre caneton ! il plia la tête pour la cacher sous son aile ; mais en même temps il aperçut devant lui un grand chien terrible : sa langue pendait hors de sa gueule, et ses yeux farouches étincelaient de cruauté. Le chien tourna la gueule vers le caneton, lui montra ses dents pointues et, « platsh, platsh, » il alla plus loin sans le toucher.
« Dieu merci ! soupira le canard ; je suis si vilain que le chien lui-même dédaigne de me mordre ! »
Et il resta ainsi en silence, pendant que le plomb sifflait à travers les joncs et que les coups de fusil se succédaient sans relâche. [...]
Traduction par David Soldi.
( Pour écouter l'extrait):
